Anne Frank, un symbole qui réveille de nombreux maux
Si le nom d’Anne Frank apparaissait la semaine dernière dans les médias, ce n’était pas pour une commémoration de la jeune déportée juive tristement célèbre pour avoir relaté dans son journal intime comment elle et sa famille tentaient d’échapper aux persécutions nazies pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cette fois, c’est plutôt pour une affaire de mémoire salie entartrée d’un racisme nauséabond et d’une forte dose de mauvais gout. Face à Cagliari en octobre, les tifosi de la Curva Nord – historiquement le virage des ultras laziale – voient leur tribune fermée pour des chants racistes survenus lors de la rencontre face à Sassuolo envers Duncan ou Adjapong. Un comportement relevé et donc sanctionné qui n’a pas empêché les ultras de se rendre au stade côté Curva Sud – historiquement le virage des ultras de l’AS Roma – pour profiter de la rencontre. Et en bons petits malins, certains énergumènes ont eu la fabuleuse idée de laisser quelques souvenirs antisémites dans les travées. C’est ainsi que des autocollants d’Anne Frank portant le maillot de l’AS Roma ont été retrouvés. L’ironie mise de côté, il ne reste que l’indignation face au geste. Un geste réfléchi de la part d’une quinzaine d’imbéciles (ils sont 16 en examens, 3 identifiés avec les caméras de surveillance, dont un mineur de 13 ans) qui ne doit rien au hasard. S’ensuivra des gestes symboliques mais la aussi perturbés. De la couronne de fleurs déposée par Lotito en synagogue retrouvée dans le Tibre, au maillot porté par les joueurs de la Lazio lors de l’échauffement à Bologne, en passant par les réactions mitigées des supporters dans les stades en Italie lors de la minute de réflexion sur la Shoah mise en place par la fédération en milieu de semaine. Pour ne citer qu’eux, les ultras d’Ascoli ont refusé d’entrer dans leur stade pendant cet instant de recueillement prétextant ne pas vouloir participer à « une mascarade qui instrumentalisait quelques autocollants ». D’autres ont couvert la minute de silence par l’hymne italien. Pas forcément plus intelligent. Ajoutons à cela quelques « écoutes téléphoniques » sorties de la poche du magicien d’Oz, où Lotito, le président de la Lazio se moquerait ouvertement de la visite de la Synagogue qu’il va organiser. Histoire de faire monter la sauce.
Une communauté juive implantée depuis 20 siècles
Petit panorama historique, la ville de Rome est l’une des seules où la communauté juive a eu une présence ininterrompue sur plus de 2000 ans. Ce sont à l’époque, les esclaves amenés par Titus qui formèrent un groupement de 50 000 personnes ainsi que les contacts avancés avec Jérusalem. De l’esclavage au ghetto du 16ème siècle (signe distinctif, regroupement dans les même quartiers), la relation de la ville avec sa communauté a longtemps été délétère. Il faut attendre 1870 et la chute de l’autorité papale pour que l’égalité entre la communauté juive romaine et les autres citoyens de la cité soit reconnue. Une histoire longue et rocailleuse qui laisse un héritage parfois mal interprété par la population romaine. Aujourd’hui Rome compte environ 20 000 pratiquants juifs et une synagogue près du Tibre marque la présence historique d’un peuple qui a grandement contribué à la construction et à l’histoire de la capitale romaine.
Un phénomène à Rome ? Mais pas que
Revenons à nos affaires. L’utilisation de l’image d’Anne Frank va donc au delà d’un simple raisonnement d’idiots. Cela vient également rappeler que les attaques contre les juifs entre tifosi des deux clubs et plus généralement dans l’Italie du football ne sont pas si rares. En 2013 lors de l’anniversaire de l’AS Roma, certains avaient tagué des inscriptions antisémites sur les murs de la ville. En 1998, c’est une banderole des ultras de la Lazio renvoyant ceux de la Louve dans leur « patrie à Auschwitz » et dans leurs « maisons, les fours« . Subtil. Ou encore plus finement en 2000, lorsque les Laziali rendent hommage au Tigre Arkan, Zeljko Raznatovic, décédé, inculpé pour crime contre l’humanité en 1997 et ardent défenseur de « l’épuration ethnique« , terme dont il était très fier. Hors football, il y a également l’explosion criminelle devant un cinéma de Rome – mise en place par un ultra de l’AS Rome et la branche extrémiste Forza Nuova – qui projetait le film Un spécialiste relatant le procès d’Adolf Eichmann (criminel nazi). Mais des exemples de ce calibre il y en a aussi chez les autres clubs. L’Inter, la Fiorentina, le Milan AC, l’Hellas et même le Torino ou la Juventus, histoire de rappeler quand même que non la Lazio n’est pas seule et se focaliser sur elle serait une erreur grossière. Ceci étant dit, les groupes d’extrême droite et fascistes ont désormais une présence bien ancrée à l’Olimpico malgré leur minorité. C’est dans les années 90 que les observateurs ont vu arriver le problème. A l’époque, Michele Plastino, journaliste romain (célèbre grâce à notamment l’émission Goal di Notte dans les années 70) avait évoqué le fait que les groupes modérés et apolitiques s’étaient faits petit à petit marginaliser et mettre à l’écart (parfois de façon violente) pour laisser place à des groupuscules d’extrême droite voulant s’accaparer les tribunes.
Et les responsables dans tout ça
Ici on évoquera bien sûr les responsables du monde du football et non les responsables des actes. Que font-ils ? Pendant des années, ces dérapages et ces comportements ont été atténués, banalisés et parfois même étouffés par les politiques où les dirigeants sportifs. Que ce soit les actes à consonance antisémite ou le racisme en général, l’Italie a bien du pain sur la planche, à commencer par ses instances. Les minutes de silence et les condamnations diplomatiques ne suffisent plus. Lotito ne s’attend à aucune sanction estimant que son club a fait le nécessaire face à ces mouvements. Mais d’un autre côté il veut emmener 200 jeunes supporters chaque année dans un camp de concentration. Paradoxal ? Il y a un an, c’est Muntari (Pescara) qui quitte la pelouse après avoir subi des cris de singes à Cagliari, il se prend un carton rouge. La suspension a été levée mais après coup, et c’est malheureusement trop tard. Le football italien devrait désormais songer à passer à l’action et arrêter d’être dans la réaction. Carlo Tavecchio, le président de la FIGC devrait en être le fer de lance ? Difficile d’imaginer un président auteur de dérapages racistes il y a quelques temps soutenir ouvertement ses clubs face à ce fléau. Alors oui, comme diraient les responsables politiques ou les directeurs des instances du football, ce ne sont « que » des groupes minoritaires. Malheureusement la bêtise est contagieuse.
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