DOSSIER : Blasphème, Dieu et Calcio – Le délit de blasphème en Serie A (2/3)
Quel est le point commun entre Milan Skriniar, Manuel Lazzari, Gianluigi Buffon ou encore Bryan Cristante (pour ne citer qu’eux) ? Leur couleur de cheveux ? Evidemment que non. Leur nombre de minutes jouées cette saison ? Absolument pas. En réalité, tous ont été – ou ont risqué – une suspension pour des propos jugés blasphématoires. En d’autres termes, tous ont été sous le feux des projecteurs de la commission de discipline de la Serie A pour avoir tenu des propos « insultants, méprisants ou qui manquaient de respect à la divinité ».
Des faits assez surprenants pour notre époque, et qui pourraient facilement prendre place dans une des nombreuses dystopies à la George Orwell, tant la liberté d’expression est de nos jours jugée comme fondamentale. Pourtant, en Italie et sur toutes les pelouses du Calcio, de plus en plus de joueurs se rendent coupables de ce genre de propos. Et se font ainsi reprendre par la justice du football italien. C’est le sujet de notre dossier, qui se poursuit aujourd’hui avec les nombreux cas de blasphèmes sur les pelouses de Serie A.
Quand la Serie A part en chasse contre toute forme de blasphème
Depuis 2010, donc, la commission de discipline de la Serie A et la fédération italienne mènent une véritable chasse aux sorcières envers tous les joueurs (ou dirigeants) se rendant coupable d’un acte blasphématoire. Pour autant, le phénomène n’est pas si récent que ça dans le Calcio. Et il suffit simplement de remonter légèrement le temps pour se rendre compte que la chasse au blasphème a toujours pris une place importante sur les pelouses italiennes. Ainsi, en 2001, le « commissaire spécial de le FIGC », Gianni Petrucci, convoque pour la première fois de l’histoire tous les arbitres italiens et annonce clairement la couleur : « il faut en finir une bonne fois pour toute avec les blasphèmes ». Les arbitres doivent alors se montrer moins tolérants, et peuvent surtout siffler une faute ou expulser directement un joueur si ce dernier méprise clairement le divin.
Un fait que l’on retrouve plus tôt, lors de la saison 1975/1976, quand la Juventus championne d’Italie en titre se déplace sur la pelouse d’un Como à peine promu dans l’élite. Le match est compliqué pour la Vielle Dame, et cette dernière va égaliser en toute fin de match suite à un coup franc. Un coup franc sifflé pour… un prétendu blasphème proféré par un joueur de Como. « Ce fut un épisode très malheureux » se rappellera alors Correnti, l’auteur du blasphème, « le premier absolu en Italie ».
Face à cet épisode, de nombreuses voix s’élèveront. Mais le règlement est très clair et annonce précisément à l’époque – selon l’article 12, paragraphe D – du code sportif italien, que tout blasphème doit être sanctionné d’un coup franc indirect et de l’expulsion de celui qui l’a prononcé.
De plus en plus de joueurs touchés
Depuis cet évènement de 1975, peu de joueurs ont en réalité été expulsés, et très peu de coup francs ont été sifflés. Pour autant, les blasphèmes n’ont jamais vraiment disparu de le vie du football italien. Et la liste des joueurs ayant méprisé – volontairement ou non – la divinité est longue comme le bras. En 1996, un tout jeune Del Piero déclenche par exemple une énorme polémique après un blasphème lâché lors d’un match face au Real Madrid. Et le capitaine éternel de la Juventus en rajoutera une couche quelques mois plus tard, lors de la finale du Mondial des Clubs face à River Plate, avec « una bestemmia di gioia » (blasphème de joie), prononcé après son but.
Les histoires de joueurs qui méprisent la religion ne manquent alors pas de l’autre côté des Alpes, et elles concernent même pratiquement tous les joueurs depuis. Ricardo Saponara, Matteo Scozzarella, Gian Piero Gasperini, Samir Handanovič, Lorenzo Insigne, Martin Caceres, Manuel Lazzari, Rolando Mandragora, Gianluigi Donnarumma, Giulio Donati, Marcello Lippi ou encore Francesco Magnanelli ont ainsi récemment tous été dans le viseur de la commission de discipline de la FIGC après des blasphèmes.
Tout récemment, Bryan Cristante s’est lui vu suspendu après avoir murmuré un « porca madonna vaffanculo dio cane » à la suite d’un but contre son camp. Gigi Buffon s’est lui vu offrir une belle amende après un »Dio cane » (équivalent de « bon dieu » en français) proféré lors du dernier Parma-Juventus et alors qu’il recadrait son jeune coéquipier Portanova.
https://www.youtube.com/watch?v=tIZMBprWm40
Mais la palme d’or revient sans aucun doute à Milan Skriniar. Le défenseur de l’Inter s’est en effet vu octroyer une triple suspension la saison dernière : la première pour une faute qui entrainait une expulsion; la deuxième pour des paroles déplacées envers l’arbitre; et la troisième pour une offense au divin. Un record.
Blasphémer ne veut pas forcément signifier un manque de respect au divin
Mais est-il alors judicieux – et surtout nécéssaire – de suspendre un joueur pour un simple « porco dio » ou un petit « dio cane » murmuré sur une pelouse de foot ? La Serie A ne serait-elle pas dans l’excès en agissant de la sorte ? Ce point de vue a longtemps fait débat, et continue d’alimenter les polémiques de nos jours. Déjà, au début des années 2000, un tout jeune Beppe Marotta s’emportait et prenait la défense de son entraineur, coupable d’un blasphème, à l’époque de l’Atalanta : « Vavassori n’a offensé personne. Il était seul sur son banc et il ne peut être privé de la liberté de regretter un but encaissé ».
Un avis également partagé par Marcello Lippi, qui prenait la défense d’un Iaquinta lui aussi coupable de blasphème après un but marqué avec la Nazionale en 2006 : « ceux qui blasphèment sur le terrain le font par instinct et par colère, pas par manque de foi ou pour offenser Dieu ».
Des avis que la FIGC ne semble pas du tout écouter. Car derrière cette volonté de sanctionner toute forme de blasphème sur les terrains de football, se cache une réelle décision politique. Comme nous le verrons dans la troisième partie de notre dossier.
A lire aussi :
1 – 1ere partie : Que dit la loi sur le délit de blasphème en Italie ?
2 – 2ème partie : Le délit de blasphème en Serie A
3 – 3ème partie : Pourquoi l’Italie agit-elle ainsi ?
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