« Tutto il calcio minuto per minuto » : 60 ans mais toujours dans l’air du temps
Evénement en ce 10 janvier 2020 dans le panorama audiovisuel italien. « Tutto il calcio minuto per minuto », le célèbre multiplex de la radio publique Rai diffusé sur Radio 1, fête ses 60 ans. Un événement du fait notamment de sa longévité, à l’heure de l’explosion des plateformes TV et des streaming. Une longévité acquise grâce à l’amour du public, certes moins nombreux qu’il y a 40 ans, mais tout autant passionné. Retour sur une formidable aventure humaine, sportive et médiatique débutée le 10 janvier 1960 sur une idée de Guglielmo Moretti, Sergio Zavoli, Roberto Bortoluzzi, inspirée par le « Sport et Musique » français des années 1950.
« Tutto il calcio… » c’est d’abord un générique immuable depuis six décennies. Un rythme battant suivi de la trompette de Herb Alpert & The Tijuana Brass. A l’écoute du morceau « Taste of Honey », les « gentils auditeurs » -comme on les appelle depuis 60 ans- savent qu’ils vont assister à la journée de Serie A et B. A l’origine, tous les matchs avaient lieu le dimanche à la même heure (14h puis 15h). Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Entre matchs avancés, matchs retardés, etc. Il est loin le temps où la Fédération ne permettait à la Rai de ne diffuser qu’à partir de la seconde mi-temps afin… de ne pas contribuer à vider les stades. Ce n’est qu’à partir de 1977 que les matchs seront radiodiffusés en intégralité.
Le générique de « Tutto il calcio minuto per minuto ».
Un pari fou dans l’Italie des années 1960
Le concept est aussi simple qu’efficace. Un pilote dans les studios du siège de la Rai, dans le quartier romain de Saxa Rubra. Et un envoyé spécial sur chaque stade (seulement sur 4 stades à l’origine). Pas de consultant. Une voix et jusqu’à 25 millions de paires d’oreilles à l’écoute, soit un Italien sur deux (dans les années 1970), à la maison, dans la voiture, dans un bar, à la plage, au travail. Pour rire, crier, pleurer (de joie ou de peine). Entendre son équipe triompher, stagner ou, parfois, sombrer. L’organisation est millimétrée. Les matchs sont hiérarchisés en fonction du classement des équipes. Les affiches ont droit à un temps de parole plus grand. Les autres suivent. Si l’ordre des interventions est fixe, chacun peut intervenir et couper la parole à son collègue en cas de but. Un luxe d’impertinence qui n’était pas octroyé à l’origine. Tout le charme est là. Les secondes d’intervention étant comptées, on accélère le flux des mots, pour pouvoir transmettre le maximum d’informations en un minimum de temps. On en reste à l’essentiel. Avec « Tutto il calcio… », la vedette c’est le match. On prend l’antenne juste avant le coup d’envoi, on la rend juste après. Pas d’interview ni de reportage d’avant ou d’après-match. On laisse ça à la « Domenica sportiva » et « 90° minuto » qui prendront le relais sur la Rai à la télévision. Le temps toutefois de récapituler les scores et le classement. Sans oublier de lire la grille du Totocalcio, ces paris sportifs véritable drogue des tifosi. La recette est gagnante. Elle s’ancre tellement dans le quotidien des Italiens qu’elle inspire acteurs, chanteurs et écrivains dans leurs œuvres.
Le copain du dimanche
A l’époque, le phénomène contribue à lier une Italie trop souvent coupée en deux. Les immigrés du Mezzogiorno travaillant dans les usines du Nord peuvent ainsi vibrer sur les exploits de leur Napoli, Palermo ou de l’AS Roma. Les Sardes immigrés partout dans le monde pleurent de joie en avril 1970 lorsque Cagliari remporte le Scudetto. Le football et la radio sont une porte d’entrée sur le pays d’origine pour des dizaines de millions d’Italiens ayant quitté leur pays. De l’étranger, on tarde parfois à trouver la fréquence en ondes courtes (AM), mais quand on la capte, on ne la quitte plus. Les flots de paroles des journalistes sportifs deviennent alors aussi poétiques et nourrissent autant la nostalgie du Belpaese qu’une tarentelle ou un tube yéyé. « Tutto il calcio… » devient rapidement le copain du dimanche. On se familiarise avec les voix des envoyés spéciaux (les Ameri, Ciotti, Ferretti, Provenzali, Viola, Valentini, Luzzi, Foglianese, Cucchi, etc.), et les stades d’où ils commentent. Avec l’habitude, en cas de but, dès l’ouverture du micro, avant même la prise de parole, on comprend si le but a été marqué par l’équipe locale (grâce aux cris des tifosi) ou adverse (sifflets). Quelle émotion, par exemple lors d’un pénalty de son équipe favorite, d’attendre, espérer, craindre, d’avoir l’impression de se bander les yeux et de s’abandonner au journaliste qui, seul, aura le pouvoir (et le devoir) d’annoncer l’issue du face-à-face.
La radio dans un paysage médiatique en mutation constante
Soixante ans après, « Tutto il calcio… », actuellement dirigé par Filippo Corsini, poursuit sa route contre vents et marées, face aux mutations du monde des médias. Plus question d’audiences monumentales (autour de 2 millions aujourd’hui) mais le programme reste le plus suivi de Radio Rai. Longtemps en situation de monopole, la Rai a subi l’arrivée de médias privés (Tele+, Mediaset, Sky, etc) sur le marché, tels des rouleaux compresseurs. Ayant à l’esprit la passion des Italiens envers ce programme, ces magnats auraient bien voulu voir le service public se casser les dents sur le rocher de la concurrence. En leur ôtant les droits de retransmission. En vain.
Pour l’heure, l’audiovisuel public résiste et voit ses efforts récompensés. Il demeure un canal fidèle de la diffusion de l’information pour l’ensemble des Italiens. Il s’est aussi lancé sur le numérique (internet, smartphone, podcasts, etc). Et gratuitement. Le temps passe mais « Tutto il calcio… » porte toujours ses valeurs d’origine. Rigueur, respect du « gentil auditeur » et proximité. En effet, on trouvera toujours un créneau sur la grille des programmes pour diffuser un match en retard de Serie A, un choc de Serie B, un 8e de finale de Coppa Italia. Au nom de la passion du foot et de l’information.
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