DOSSIER : Blasphème, Dieu et Calcio – Pourquoi l’Italie agit-elle ainsi ? (3/3)

Par Boris Abbate publié le 28 Fév 2021
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Quel est le point commun entre Milan Skriniar, Manuel Lazzari, Gianluigi Buffon ou encore Bryan Cristante (pour ne citer qu’eux) ? Leur couleur de cheveux ? Evidemment que non. Leur nombre de minutes jouées cette saison ? Absolument pas. En réalité, tous ont été – ou ont risqué – une suspension pour des propos jugés blasphématoires. En d’autres termes, tous ont été sous le feux des projecteurs de la commission de discipline de la Serie A pour avoir tenu des propos « insultants, méprisants ou qui manquaient de respect à la divinité ».

Des faits assez surprenants pour notre époque, et qui pourraient facilement prendre place dans une des nombreuses dystopies à la George Orwell, tant la liberté d’expression est de nos jours jugée comme fondamentale. Pourtant, en Italie et sur toutes les pelouses du Calcio, de plus en plus de joueurs se rendent coupables de ce genre de propos. Et se font ainsi reprendre par la justice du football italien. C’est le sujet de notre dossier, qui nous refermons à présent en tentant d’expliquer pourquoi l’Italie du foot agit de cette façon avec le blasphème.

Des exemples pour les jeunes

Mais alors pourquoi l’Italie agit-elle ainsi avec le blasphème ? Que se cache-t-il derrière cette volonté de couper court à toute forme de parole sur le divin ? L’Italie du Calcio serait-elle tombée dans un engrenage excessif réfutant toute liberté d’expression sur les terrains ? Pour donner un premier élément de réponse, il suffit enfaite simplement de se pencher sur les déclarations de personnes d’autorité dans le domaine, à l’image de Petrucci, haut commissaire à la FIGC, qui lors d’une grande réunion sur le blasphème déclarait ceci, dès 2010 : « il n’est pas acceptable que le blasphème soit maintenant à la mode sur le banc ou sur le terrain. Les joueurs et les entraîneurs doivent également se souvenir de leur rôle d’exemple pour les jeunes qui les suivent. Les arbitres, en revanche, doivent se souvenir qu’il leur appartient d’arrêter ces excès ».

S’agirait-il alors de simplement sanctionner des individus populaires afin qu’ils montrent le bon exemple aux jeunes, comme l’attestait Petrucci ? Ou alors la démarche contient-elle des éléments beaucoup plus politique que cela ? Pour ce même haut commissaire à la FIGC, la réponse ne fait en tout cas aucun doute : « la religion n’est pas impliquée, c’est une question de civilisation et d’éthique. Combien de garçons voient les matchs et assistent à ce mauvais spectacle, pensant ainsi que le blasphème est légal si personne ne le punit ?! ». De saintes paroles, qui n’empêchent malheureusement  pas de penser que ce traitement des blasphèmes est surtout là pour tenter de réduire au maximum le débat sur les religions. Tout en protégeant au maximum les croyants, dans un pays et un peuple où la religion a toujours joué un rôle très important. 

Une tentative de réduire le débat sur les religions

Interrogée récemment par nos confrères du magazine So Foot, Corinne Leveleux-Teixeira, professeur d’histoire du droit à l’université d’Orléans, allait en tout cas dans ce sens de réflexion : « avec la poussée des fondamentalismes et de l’esprit religieux sur fond d’intégrisme, il est possible que la situation se tende en Italie, et on peut supposer que les autorités cherchent à limiter les troubles à l’ordre public, car le blasphème vaut surtout par les réactions qu’il peut susciter chez d’autres joueurs se sentant blessés, ou au sein du public ». 

Un fait également partagé par Anastasia Colosimo, philosophe du droit et théologienne politique, qui déclarait « qu’au fil du temps, le blasphème s’est transformé en offense aux croyants, et dans le cas italien, en préjudice aux croyants ». L’idée serait donc de protéger au maximum les croyants, dans un pays comme l’Italie où les baptisés représentent par exemple plus de 90% de la population.

« Le blasphème fait partie des droits de l’homme, pas des bonnes manières »

Mais en agissant de la sorte, la FIGC ne se voilerait-elle pas la face et ne se lancerait-elle pas dans une tentative d’exemplarité qui ne sera jamais possible à atteindre ? Protéger les croyants et donner le bon exemple aux jeunes est une chose, mais qu’en est-il de tous les autres gestes susceptibles d’être perçus comme violents ou offensants envers d’autres tranches de la population ? L’Italie se mettra-elle ainsi dans le futur à punir les crachats sur les terrains de foot ou encore les mots déplacés de certains joueurs ? La question mérite en tout cas d’être posée.

Mais en réprimant à tout va les blasphèmes, l’Italie du foot s’est surtout mise d’accord sur une chose. Une chose partagée par le philosophe André Comte-Sponville, qui lors d’un entretien au Monde déclarait ceci : « il n’y a pas que la loi, il y aussi la morale. Il arrive qu’on s’interdise de dire certaines choses, non parce que ce serait pénalement répréhensible, mais parce que se serait manquer de douceur, de compassion ou de délicatesse. Au peuple d’en décider, pour ce qui relève de la loi. A chacun d’en juger, pour ce qui ne relève que de sa conscience. Le blasphème fait partie des droits de l’homme, pas des bonnes manières ». Une doctrine que semble bien avoir adopté l’Italie du Calcio. Que cela ne plaise ou non.

A lire aussi : 

1 – 1ere partie : Que dit la loi sur le délit de blasphème en Italie ?

2 – 2ème partie : Le délit de blasphème en Serie A 

3 – Pourquoi l’Italie agit-elle ainsi ?




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Boris Abbate

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