ENQUÊTE : L’affaire Ndrangheta/Agnelli qui affole le Calcio et la Juventus
Historique : Juillet 2016, Raffaello Bucci (supporter et ultra turinois) est retrouvé mort dans ce qui est appelé le « viaduc du suicide » entre Turin et Coni. Coïncidence ou pas, il a été interrogé par la police le jour d’avant au sujet des liens mafia/football et sur les compromis qu’il y aurait entre les ultras et la Juventus. Cet interrogatoire fait partie de l’enquête « Alto Piemonte » sur l’infiltration mafieuse dans le football italien. Une enquête qui désormais cible Agnelli, le président turinois, soupçonné d’entretenir des rapports avec la Ndrangheta, la mafia calabraise et Parissportifs.fr.
C’est quoi l’histoire ?
Début mars, l’Ansa révèle une audition secrète à la commission parlementaire anti-mafia au sujet de la vente de billets de la Juventus à des groupes d’ultras dirigés par la Ndrangheta, organisation mafieuse calabraise. Les journaux se sont saisis de l’affaire et dévoilent des éléments pouvant montrer un business et des relations entre Agnelli et la Ndrangheta sur de la vente/revente de billets. Ces informations, attribuées au procureur de la FIGC Giuseppe Pecoraro, ont ensuite été démenties par l’intéressé, ce qui n’a pas empêché la machine médiatique de mettre en pratique son cycle infernal de relai de l’information.
Mardi 7 mars après-midi, toujours par l’Ansa, d’autres éléments tombent parmi lesquels des déclarations de Pecoraro : « Il est évident que Rocco Dominello, fils de Saverio Dominello, un des dirigeants de la Ndrangheta, entretient des rapports avec la direction de la Juventus au sujet de la vente de billets« . Quatre personnes sont identifiées côté Juve, dont Agnelli. Après la parution de ces éléments, Pecoraro s’empresse de préciser à la presse : « j’ai dit des contacts, pas des rapports« , avant de préciser dans un communiqué sur le site de la FIGC que pour le moment il n’y avait absolument rien et que l’enquête était en cours. Une façon d’éteindre partiellement l’emballement des médias italien.
Toujours début mars, suite à ces premières révélations, Agnelli s’est empressé sur Twitter et en conférence de presse de démentir tout contact et tout rapport avec la mafia calabraise. « Je n’ai jamais entretenu de rapports ou rencontré de boss de la mafia. » Le président turinois a ensuite été entendu il y a une semaine par la commission présidée par Maria Rosaria Bindi, femme politique italienne et présidente du parti démocrate entre 2009 et 2013. Entendu pourquoi ? Car de nouveaux éléments ont été révélés, parmi lesquels des écoutes téléphoniques datant de mars 2014 entre Agnelli et le responsable de la sécurité du club : Alessandro d’Angelo. Dans cette conversation, Agnelli semble au courant des activités de ses interlocuteurs : « Le problème est le suivant, il a tué des gens » ou encore « je sais d’où ils viennent et ce qu’ils font ». Des éléments cinglants, mais hors contexte, balancés par le procureur Giuseppe Pecoraro qui pour le moment ne viennent rien prouver. D’ailleurs, l’avocat de Dominello et celui d’Agnelli campent sur leurs positions : Dominello et Agnelli ne se connaissent pas au delà des relations qu’un président peut avoir avec un groupe de supporters. Ces relations n’indiqueraient en rien une affaire quelconque entre les deux hommes même s’il semble cohérent de penser qu’Agnelli savait qui était son interlocuteur.
L’enquête semble désormais plus profonde puisqu’une autre écoute, datée cette fois de 2016 fait surface également, toujours entre D’Angelo et Agnelli où le dernier cité lâche : « ils achètent ce qu’ils doivent acheter et après ils gèrent comme ils veulent. » en parlant de ses interlocuteurs. Suite à ces nouvelles révélations, qui cette fois mettent en évidence un éventuel business entre Agnelli et Dominello, Pecoraro a déclaré mercredi dernier qu’Agnelli allait de nouveau être entendu courant avril tandis que d’autres clubs pourraient également être concernés (Catania, Crotone …).
Plus récemment (le 28 mars), Saverio Dominello s’est exprimé au sujet d’éventuels contacts avec Agnelli pendant l’enquête préliminaire : « Je suis désolé que le nom des Agnelli soit mêlé avec le nôtre. Par rapport à eux, nous étions des déchets et ils n’auraient jamais eu de rapports avec des déchets. » Cela fait suite à l’envoi d’un « mémoire » de 36 pages envoyé par Agnelli et ses avocats au procureur fédéral expliquant que « la Juventus est victime de la situation et qu’elle n’a voulu que faire régner l’ordre public dans le nouveau stade. » Pecoraro oppose à la défense d’Agnelli des faits datés de 2014 et du derby face au Torino pendant lequel D’Angelo aurait eu une médiation avec Raffaello Bucci au sujet des groupes d’ultras et de certaines banderoles/chants douteux qui ont été introduits dans le stade. Agnelli aurait été au courant, chose démentie par la défense qui prétend que l’intéressé n’aurait eu l’info que bien plus tard grâce aux caméras dans le stade.
Des écoutes, là encore, qui sortent de nulle part, révélées par Pecoraro, le procureur de la FIGC. Une dernière écoute a d’ailleurs été révélée, datant encore de 2014, où D’Angelo s’entretiendrait avec un interlocuteur qui n’a pas été identifié au sujet d’une demande faite par la Ndrangheta à Agnelli sur l’ouverture d’une « coopérative » en échange d’une certaine « tranquillité« . Agnelli aurait refusé et la Juventus s’est aussitôt empressée de demander à Pecoraro pourquoi une telle écoute n’avait pas été elle aussi révélée alors qu’elle était vraisemblablement en sa possession en compagnie des autres.
D’où ça sort ?
Difficile de le dire, et c’est aussi pour ça qu’il faut tout prendre avec des pincettes. Les écoutes téléphoniques ont été révélées, certes, mais qui les a transmises ? Quel était le contexte de la discussion ? Impossible à déterminer pour le moment. Ce qui est sûr c’est que la Juventus n’est pas le seul club impliqué. L’enquête va donc continuer et les révélations sur le dossier afflueront en même temps que les rumeurs. Il faut aussi s’attendre à ce qu’une telle enquête ne s’arrête pas aux frontières turinoises, siciliennes et calabraises. En attendant, c’est le Calcio qui en souffre, comme le dit le directeur général de la FIGC : Michele Uva dans la Gazzetta Dello Sport. Maria Rosaria Bindi, il y a une semaine, déclarait ainsi : « La force des organisations mafieuses est clairement sous-évaluée dans notre pays. Il y a un phénomène, il existe : les billets continuent-ils de leur être distribués ? ». Plus récemment, elle précisait même que la Ndrangheta parle « non seulement calabrais mais également « emiliano« , sous-entendant une infiltration dans l’ensemble du pays.
Que risque la Juventus ?
Sur ce dossier pas grand chose et surtout rien au pénal. Tout d’abord, il est important de préciser que la Juventus n’est pas partie civile dans le dossier mais qu’elle est présente en tant que témoin. Dans le pire des cas, elle peut écoper d’une amende si des irrégularités ont été observées mais en aucun cas une rétrogradation sportive où un dépôt de bilan comme il est possible de le voir sur la toile. Pour Agnelli, ou encore Antonio Conte (son nom a surgi également lors d’un possible échange de SMS entre Dominello et lui), l’enquête est en cours et il serait bien maladroit de tirer des conclusions hâtives.
Quelles seront les suites de l’affaire ?
Agnelli devrait être reçu courant avril pour la suite de l’enquête par la commission Mafia et Sport, c’est en tout cas ce qu’a annoncé Marco Di Lello. Calciomio suivra le dossier de près et vous informera de tout ça, avec patience, calme et surtout prudence. Dans ce genre d’affaire avant de tirer à vue, il faut s’assurer de ce sur quoi on tire.
Article écrit avec la participation de Romain Simmarano
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