DOSSIER : Le racisme territorial dans les stades italiens et le fléau de la rivalité nord-sud (partie 1)

Par Nicolas Soldano publié le 18 Oct 2018
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Il y a quelques jours, le recours de la Juventus contre la fermeture de la curva sud de l’Allianz Arena a été rejeté par la cour d’appel sportive italienne. Une décision qui risque même de créer un précédent puisqu’en plus de maintenir les sanctions (fermeture du virage sud contre le Genoa plus 10 000 euros d’amende), la cour a décidé d’alourdir la peine de la vielle dame en ajoutant une fermeture avec sursis de cette même tribune pour le match contre Cagliari. Les raisons de ces sanctions ? Des chants racistes envers Koulibaly et le peuple napolitain durant le dernier match de championnat opposant la Juve et le Napoli. Encore un fait divers de plus dans l’historique passé et récent du football italien ? Oui, sauf que le nombre de ces agissements ne faiblit pas depuis les années 80 et cela malgré différentes dispositions de plus en plus répressives prises par la fédération, la ligue et les autorités italiennes depuis de nombreuses années.

Justement, l’utilisation des huis clos partiels reste une sanction très controversée en Italie et même à l’échelle européenne. Manque à gagner pour la billetterie des clubs accueillants, perte d’une facette du spectacle pour le spectateur/téléspectateur, sensation de perte d’une partie du soutien chez certains joueurs, sentiment de censure pour certains groupes de supporters qui demandent le droit de se moquer, ce type de sanction semble ne convenir à personne. Le recours de la Juve allait d’ailleurs en ce sens puisque le club bianconero insistait sur le fait qu’il était urgent de se détacher des sanctions collectives, souvent injustes car non-ciblées, pour se concentrer sur des sanctions individuelles grâce à l’évolution de la technologie dans le stade. Un débat pour l’instant sans fin puisqu’au niveau pénal les retours sont très mitigés, l’identification des fauteurs de trouble via la vidéo surveillance restant complexe notamment vis à vis de la qualité de l’image, de la dissimulation des visages et de la notion de flagrant délit.

Ci-dessus la tribune de l’Allianz stadium qui sera fermée lors de la prochaine réception du Genoa

Près des yeux loin du cœur ?

Mais éloignons nous de l’administratif et revenons à l’histoire. L’Italie est, comparée aux voisins européens, un pays relativement « récent », fait de fragments de régions unifiées, où le sentiment d’appartenance locale et les rivalités territoriales exacerbées ont toujours été très présents. Et cela a trouvé raisonnance chez les supporters du calcio qui en reprennent les codes. En 2013, pas moins de 4 secteurs de tifosi de l’AS Roma, du Milan AC, de l’Inter et du Torino risquaient d’être fermés pour un match en cas de récidive sur une seule journée de championnat. En cette période les différents groupes ultras avaient revendiqué le droit à « l’humour potache » en balayant le mot racisme d’un revers de main. Le plus étonnant est que ce racisme local touche parfois deux villes ou clubs à forte proximité géographique. On peut par exemple s’appuyer sur l’antagonisme entre Lecce et Bari, deux équipes des Pouilles séparées par à peine plus de 100km. Preuve de la tension territoriale entre ces deux équipes, la mésaventure survenue à Diamoutene : le défenseur de Lecce avait été agressé en 2010 par des supporters de son équipe lui reprochant d’avoir évolué à Bari la saison passée. Des oppositions peuvent même exister dans le microcosme d’une seule ville (comme à Milan, Gênes et Turin) où les rivalités et les insultes peuvent opposer différents quartiers (le centre ville contre la périphérie) et porter sur le niveau économique ou l’appartenance politique. La culture partisane devient cette extraordinaire machine à fabriquer des oppositions, une propension à penser le monde sur un mode binaire qui vient « consolider les frontières quand les appartenances n’y suffisent pas« . L’ethno-sociologue Christian Bromberger dans son livre Le match de football, Ethnologie d’une passion partisane exprime parfaitement cette construction des mentalités :

« D’un côté un univers féminin, souligné par la consonance et le genre du nom des équipes (la Samp, l’Inter, la Juve) ; de l’autre, un monde masculin (il Genoa, il Milan, il Torino). D’un côté des appellations de clubs où s’efface la référence à la ville ; de l’autre des noms qui la proclament. […] Les contrastes ne témoignent pas seulement du souci de se démarquer de l’autre, ils symbolisent deux modes distincts de relation au football, à la ville et à l’histoire. D’un côté le local, une population de vieille souche qui s’arc-boute sur son identité, une célébration passionnée de l’entre-soi entre les murs de la cité ; il Genoa, il Milan et il Torino font d’ailleurs figures d’ancêtres légitimes : ils ont été créés avant leurs concurrents. Quant aux 3 autres, ils incarnent un tout autre univers : à la tradition ils opposent l’innovation, au repliement sur soi l’ouverture qui s’affranchit de l’ancrage local, face à la ferveur nostalgique et souvent malheureuse de leurs adversaires ils affichent une insolente confiance en l’avenir. »

Banderole des tifosi du Torino revendiquant l’histoire de la ville lors du derby turinois

Coups bas autorisés

On peut par exemple relater un échange musclé en tribune lors du derby de Turin de 1990 où les tifosi rivaux avaient rappelé les épisodes les plus tragiques de l’histoire du club adverse. Quand les Juventini ont exhibé une banderole où était inscrit « Grande Toro, ti preghiamo : se prendi l’aero, te lo paghiamo noi » (« Grand Toro, nous t’en prions : si tu prends l’avion, c’est nous qui te le payons« , rappel moqueur du drame de Superga où des joueurs du grand Torino des années 40 avaient perdu la vie suite à un crash aérien), les tifosi du Torino avaient répliqué immédiatement : « Animali con voi Bruxelles è stata troppo onesta! » (« Animaux, Bruxelles a été trop bonne avec vous !« , évocation sarcastique du drame du stade du Heysel où des supporters Juventini s’étaient vu mortellement attaqués par les supporters de Liverpool, provoquant l’effondrement d’une tribune).

Des rivalités historiques, remplies de traditions, qui donnent au football cette crédibilité historique, sa profondeur presque cinématographique lors de matchs puis de saisons aux dénouements magiques/tragiques; mais qui dérivent (trop) souvent sur des banderoles et chants à la limite de la xénophobie, toujours pour pousser encore plus loin l’envie du paroxysme de l’opposition, dérivant naturellement sur la haine de l’autre. Tout en banalisant certaines pensées à la limite de ce qui peut être écouté…

…Rendez-vous demain pour la deuxième partie de l’article 

 




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Nicolas Soldano

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