Français d’Italie
« Quand, par hasard, on a un coeur et une chemise, il faut vendre sa chemise pour voir l’Italie. »
Stendhal ne cachait guère son amour immodéré pour tout ce qu’il y a sur terre de transalpin. Il en a même tiré un récit de voyage, Rome, Naples et Florence, aux airs de déclaration enflammée. Le célèbre auteur fait partie de ces innombrables Français qui, à travers les siècles, ont développé pour l’Italie une passion sans limites. Ces Gaulois si passionnés par Rome qu’ils en adoptèrent les us et les coutumes, ces rois et seigneurs français pour qui une année sans « campagne d’Italie » était une mauvaise année. En somme, ces liens uniques et fragiles entre deux territoires forgés par l’histoire qui auraient pu ne rien avoir en commun. Il n’en a, fort heureusement, jamais été ainsi.
Un sport pour deux nations
Le football est une évidence dans cette relation franco-italienne. Pour ces deux nations déjà unies par la littérature, les arts et la table, le ballon rond est d’une importance capitale. Le 15 mai 1910, l’Equipe d’Italie de football joue ainsi son premier match officiel face à la France, à Milan. 11 Français contre 11 Italiens, 22 frères en civilisation et en esprit, irrémédiablement coupés en deux dans leur lutte pour le but. Résultat : 6-2 pour l’Italie. La première confrontation d’une longue série. Mais là n’est pas le sujet. Il faut plutôt voir ces joueurs de football qui, par choix de carrière, par amour ou par défaut, ont fini par jouer dans le Championnat d’Italie. Par leur culture ou leur tempérament, bref, par tropisme français, ils ont influencé peut-être autant qu’ils ont été changés par leur passage. L’Italie et les Français en football : une histoire de larmes, de grandeur, mais surtout une histoire d’hommes.
Transformés par le Calcio
Au fond, s’il ne fallait en retenir qu’un seul, ce serait probablement le plus adopté d’entre eux tous: Sébastien Frey. Formé sur la Riviera française, il dispute son premier match de Serie A à 19 ans, avec l’Inter. Plus jeune gardien de l’histoire interiste, il se révèle sous les couleurs du Hellas, et évoluera surtout à Parma et à la Fiorentina, ainsi qu’au Genoa. Son histoire est celle d’un prophète : jamais reconnu à sa juste valeur dans son pays, sa carrière prospère de l’autre côté de la frontière. Il est élu meilleur gardien étranger de Serie A à sept reprises, et décroche même trois nominations pour la récompense suprême de Meilleur Gardien de Serie A. Il est souvent devancé sur le fil par Buffon, Toldo ou encore Dida, mais qu’importe. Ici, en Italie, le Français est comme chez lui. Les rares fois où il revient dans son pays de naissance, pour y revêtir la tunique des Bleus, il est conspué, rabroué et sous-estimé. On ne lui pardonne rien. Cependant, côté azzurro, il dispute près de 450 matches dans l’élite. Parle de l’Inter comme d’un « premier amour que l’on n’oublie jamais vraiment« . Incite son frère à venir y jouer même si c’est en Serie C2. Bref, Sébastien Frey est un Français adopté par l’Italie, comme Napoléon III ou Lamartine avant lui. Ou comme un certain Marcel Desailly, même si l’histoire est un poil différente. Car lui aussi, celui qui deviendra le Captain emblématique que l’on connaît, a été profondément transformé par son expérience italienne. Joueur du Milan AC entre 1993 et 1998, le « nouveau Rijkaard » vanté par Silvio Berlusconi himself invente le milieu défensif contemporain. Pour cela, il lui aura fallu renoncer à son poste naturel de défenseur central, sous la pression d’un Fabio Capello intraitable. Réussite sur tous les plans, puisque Desailly marquera même le dernier but milanais en finale de Champions League face au Barça (4-0). « Un pays à part dans le football, toujours affaibli et pourtant de plus en plus forte« : le grand Marcel aime cette Italie qui l’a changé à jamais. Frey et Desailly ont ce point commun d’avoir vécu quelque chose de grand, d’intense et d’unique de l’autre côté du miroir latin. Ils sont autant des traits d’union que des fils adoptifs.
Un tocco francese sans cesse réinventé
Ce que le Français reçoit, le Français sait aussi rendre. Michel est Lorrain de naissance, mais son père est un immigré piémontais. De Novara, plus précisément. Une origine qu’il n’a jamais revendiquée, dont il ne s’est jamais servi pour faire de la politique ou pour expliquer son parcours. Mais à sa manière, le jeune Michel est le fruit encore immature de la diaspora italienne. Lorsqu’il signe à la Juventus à l’âge de 27 ans, Michel devient véritablement Platini. Il joue le rôle de sa vie et, sans le vouloir forcément, réalise le rêve d’une génération de gamins éloignés de la terre de leurs parents, grands-parents et ancêtres. Ses cinq années turinoises obéissent aux canons essentiels de la tragédie, de la péripétie au dénouement. Encore aujourd’hui, une majorité d’Italiens le considère comme le plus grand français à avoir joué en Serie A. Il y est à la fois l’homme marqué au fer rouge par le Heysel et le « Roi Michel ». Sept ans après ses adieux au Stadio Comunale, c’est un autre français qui lui succède au Stadio Delle Alpi. Didier Deschamps aura lui aussi marqué l’Italie, de toutes les manières possibles. En tant que joueur, puis en tant qu’entraîneur : son rôle dans la remontée en Serie A de la Juventus en 2007 est une histoire à part entière. Il en aura même été un adversaire sans merci, éliminant l’Italie en 1998 puis en 2000.
« DD », Platini, Desailly et bien sûr Frey. Ils sont comme ces soldats de l’armée franco-piémontaise qui ont tant fait pour l’unité italienne. Ils sont des « grands d’Italie », Français par leur naissance et engagés, transformés, à jamais marqués par une autre patrie que la leur. Toutes les passions humaines ont existé entre France et Italie. Ces hommes, ces footballeurs, en sont des témoins exceptionnels.
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