Silvio Berlusconi, grandeurs et crépuscules
Au moment de se tourner vers les caméras et les micros, Silvio Berlusconi chancelle. Il lui aura fallu un mois d’hospitalisation pour un problème de valve aortique pour en arriver là. Dans un effort, il se raccroche à la personne à sa droite afin d’arriver à parler à ces journalistes. Terrible effort pour lui, qui a vécu sans relâche avec ces mêmes caméras, ces mêmes micros. Car Silvio Berlusconi est encore un homme puissant, au moment de s’adresser à la presse et de lui livrer la nouvelle: le Milan AC est vendu. Après 30 ans passés à la tête du club, Silvio Berlusconi se retire. Avec lui s’achève une ère difficilement comparable, aux chiffres vertigineux. 8 titres de Champion d’Italie, 6 Supercoupes d’Italie, 5 Champions League, 5 Supercoupes d’Europe, 2 Coupes intercontinentales, 1 Coupe du Monde des Clubs, 1 Coupe d’Italie. 28 trophées pour venir garnir les étagères de la Casa Milan, creuset flambant neuf qui restera la dernière pyramide d’un incroyable pharaon.
Les années Berlusconi, calcio e politica
Au moment de prononcer les mots fatidiques, certainement épuisé par quatre saisons de disette et d’ennui, Silvio Berlusconi repense-t-il à son irrésistible ascension ? Celle d’un fils de la bourgeoisie milanaise la moins reluisante, certain de renverser le monde et de le placer sous sa coupe ? D’abord promoteur immobilier dans ses jeunes années, le déclic viendra de la télévision et de son explosion dans les années 70. En 1980, il lance le projet Canale 5, dont les déclinaisons à l’étranger font mouche : la Cinq connaît en France, par exemple, un certain succès. L’entrepreneur réussit, mais cela ne lui suffit pas. Silvio Berlusconi veut, coûte que coûte, connaître deux mondes parmi les plus séduisants et les moins vertueux : le football et la politique. Deux destins, deux carrières, qui parfois se confondent et s’entrelacent, l’une contribuant à l’autre et vice-versa. Silvio Berlusconi est un porteur de masques exceptionnel en ce qu’il parvient toujours à faire croire à son authenticité à ceux qui l’écoutent. Il commencera par le sacro-saint calcio, en rachetant en 1986 un Milan AC en bien mauvaise posture financière. Un pari d’autant plus réussi qu’il aura sans aucun doute contribué à une carrière politique aussi entachée par les « affaires » qu’extraordinaire par sa longueur. Comme avec les rossoneri, Berlusconi collectionne les trophées politiques. Trois fois Président du Conseil, Sénateur, Député, Député européen, le caïman dépeint par Nanni Moretti n’en est pas moins un carnivore hors du commun. Jamais véritablement mort, il déchaîne les passions à mesure que son pouvoir s’affirme et ses méthodes s’imposent. Le football nourrit son appétit politique, ses succès politiques entérinent son statut d’indéboulonnable président du Milan AC. Le 11 mai 2001, en pleine période de vaches maigres pour le club lombard, les joueurs milanais mettent une claque historique à l’Inter Milan (6-0). Une Scala Reale particulièrement bienvenue puisque, deux jours plus tard, le 13 mai 2001, les élection générales italiennes apportent une majorité incontestable au parti de Berlusconi.
« J’ai renoncé à toute prétention sur le prix. J’ai accepté ce qui m’a été proposé, sans forcément tenir compte de la marque qui est importante. Par contre, j’ai réclamé qu’il y ait un engagement de la part des nouveaux acquéreurs – une société chinoise à capitaux publics – de verser dans les caisses du Milan AC au moins 400 millions d’euros au cours des deux prochaines années. »
L’absolu collectionneur
Mais qui est Silvio Berlusconi ? Au fond, sans se livrer à une analyse psychologique grossière, comment aboutir à une opinion définitive sur un personnage aussi dépourvu de cohérence ? Une constante: rien ne lui suffit. Partout où il passe, dans les affaires, dans le football ou en politique, l’homme est infatigable. . Plus que tout, il Cavaliere collectionne. Les trophées, les mandats, on l’a dit, mais aussi les tableaux du Tintoret et les antiquités en tous genres. Les femmes, auxquelles il n’est jamais insensible, malheureusement au point de commettre de lourdes fautes. Il est si sûr de lui qu’il en oublie trop souvent l’existence des règles qui régissent la vie des mortels. Lui n’en est pas. Lui n’a aucune bonne raison d’y répondre; après tout, il considère que ce sont ces mêmes règles qui freinent l’ambition d’hommes comme lui. Silvio Berlusconi est, plus que libéral, parfaitement libertaire. Et il s’applique cette liberté sans compter, quitte à commettre l’incohérence suprême: présider aux destinées d’une nation aussi fragile que la jeune Italie tout en étant profondément imprégné par une idéologie de liberté individuelle totale. Cette liberté totale, Silvio l’assume. Il en joue, en rit et surtout en discute. Il est un Italien comme les autres, mais il est pétri par le mythe du self-made man qu’il a voulu incarner en tous points. Une force irrésistible pour qui rien n’est sérieux mais tout compte.
L’exception Milan AC
Dans cette galaxie de choses qu’il ne prend pas au sérieux, le club de son cœur se distingue. Proche de ses joueurs, il aime profondément un club dans lequel il ne parvient parfois pas à trancher dans le vif. Père spirituel des deux générations dorées des années 90 et 2000, il noue avec ses joueurs une relation d’une qualité rare et incontestée. Il s’implique dans la vie sportive du club, souvent avec maladresse. Quoiqu’on en pense, la page qui se tourne est indéniablement lourde. Chargée d’émotions, de sacres, de traumatismes, de plaisir et de pesanteur.
L’ère Berlusconi s’achève avec le sentiment du travail bien fait, somme toute. Son crépuscule politique se pare des mêmes couleurs que son adieu au football italien. Mais là où il avait échoué à unir l’Italie autour de ses idées, l’homme avait voulu faire un club ; il l’aura finalement été lui-même. Rideau !
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