La victoire de l’autre football à Wembley
Le football ce n’est pas démago. Il n’y a pas qu’une façon de bien jouer au football. La Juventus nous l’a appris ce soir, ou si on le savait déjà, la Vieille Dame nous l’a rappelé. Oui parce que parfois on oublie, noyés dans la routine et l’habitude du championnat. Après un match aller saccagé, que pouvait-il arriver à un Tottenham bien supérieur techniquement ? Une révolte tactique, humaine, d’énormes sacrifices défensifs et un pragmatisme qui en ferait saliver plus d’un. Le foot c’est aussi ça. Des hommes qui comme le dirait Barzagli : n’ont pas peur de « souffrir » pour l’emporter. Et franchement … c’est beau.
Le jour et la nuit
Fidèle à son maillot blanc et noir rayé, la Juventus n’a jamais trouvé la demi-mesure sur cette double confrontation. Tantôt séduisante comme lors des dix premières minutes du match aller, tantôt dépassée, comme les 80 suivantes et les 45 de cette première mi-temps à Wembley. « Football d’un autre temps », « échec tactique », « incompréhensible » : tant de formules négatives tombées d’un coup sur une équipe qui restait sur deux finales en trois ans et que beaucoup encensaient il y a moins d’un an. L’erreur de parcours plaidée, le retour se devait d’être d’une autre facture. Et pourtant après 13 tirs concédés en première mi-temps et un but de Son, la mission s’annoncait beaucoup trop difficile. Battue dans tous les duels, perdue au milieu de terrain, incapable de construire, la Vieille Dame semblait encore une fois dépassée au point de tout remettre en cause : de Dybala en passant par Allegri ou Barzagli.
Seulement voilà, en seconde mi-temps la Juve s’est de nouveau transformée en cette machine à gagner géniale. Rythme cassé, jeu plus physique avec un marquage mieux interprété et des joueurs plus disponibles dans les espaces et les contres. Et la qualité indispensable qui distingue une grande équipe d’une bonne équipe, diraient certains : le côté « clutch ». Emprunté au basket, ce terme désigne le moment ou tout bascule de votre côté en quelques instant. La Juve a attendu son moment et en trois minutes, Higuain et Dybala se sont chargés du reste. Au final aux 23 tirs de Tottenham, la Juventus a répliqué avec 2 tirs cadrés. 2 buts. Le coup sur la tête était bien trop dur à encaisser pour des Anglais qui jusqu’à présent avaient tout pour l’emporter. La suite, un engagement collectif hors du commun, onze guerriers bien conscients de leurs rôles et tactiquement irréprochables.
Des certitudes bousculées
Si pendant 140 minutes, la supériorité de Tottenham a fait l’unanimité, la vague de scepticisme quant à une qualification de la Juventus était de plus en plus grande. Quoi de plus logique. Mais la force de l’équipe a tout fait chavirer. Buffon d’abord décisif, puis fébrile a été relayé par une charnière Chiellini/Barzagli qui retrouvait une seconde jeunesse. Dybala, invisible depuis un an en Champions League et qui n’avait plus marqué depuis le quart de finale contre Barcelone en 2017, sort de nul part et marque sur sa seule occasion. Higuain, critiqué dans les grands matchs, s’offre un bilan de 3 buts et 1 passe décisive en deux matchs. Rien n’a été logique, rien n’a été comme cela aurait du l’être. Mais c’est aussi ça qui fait de la Juventus une équipe redoutable. Et il ne faut surtout pas appeler ça « chance ».
Les bonnes équipes gagnent quand elles jouent bien. Les grandes équipes gagnent même en jouant mal. (Et les très grandes équipes gagnent tous les trophées). Des phrases très carées qui au final ne définissent pas le football dans son ensemble. Jouer bien c’est qui, c’est quoi ? Le beau jeu c’est quoi ? C’est s’arrêter deux secondes après le coup de sifflet final et se dire « wow, on a vécu un truc incroyable. » Et c’est ce qu’a fait la Juventus ce soir, un truc incroyable. Alors oui, si l’on reste dans les considérations classiques, pour rajouter le superlatif « très » à la grande équipe qu’est la Vieille Dame, il faudra être capable de reproduire cette transformation jusqu’en finale. Cette fois, elle a été bien aidée par les entrées des improbables Lichtsteiner et Asamoah décidées par Max Allegri. Deux changements qui peuvent sembler illogiques mais qui au final sont décisifs (le Suisse est à l’origine de l’égalisation). Alors oui, certains diront que c’était moche, d’autres que c’était laborieux. Mais les émotions, elles, étaient magnifiques. Et le foot, c’est avant tout les émotions. Et hier soir, il n’y a eu que ça. Alors oui, cette victoire de la Juventus, c’était du beau foot.
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